Elle a vécu avant de naître. Comme nous tous, elle a hérité de ces vies d’avant elle qui écrivent son roman familial. Et toutes ses œuvres s’efforcent aujourd’hui de le prolonger. Qu’elle réalise sculptures, photographies, vidéos ou éditions, ses archives personnelles constituent donc une matière première primordiale pour Alicia Zaton : photographies noirs et blancs et récits de souvenir qui emmènent vers la Pologne d’où viennent ses parents, et dont visages et paysages hantent son travail.
Jusqu’aux clichés, qu’elle se plaît à retourner : ainsi de cette vierge de plâtre face contre cimaise, de cette poupée russe noircie jusqu’à l’âme, ou de ces cornichons moulés dans le béton. Ce qui pourrait être folklore devient objet d’intensité. Il est question de feu, aussi, mais d’un feu pâle. Car Alicia Zaton ne cherche pas à mettre en scène une intime mythologie, à faire dans l’autofiction compassionnelle.
Son travail nous met à une juste distance, comme l’indique cette palissade de bois brûlée que la jeune artiste, formée aux Beaux-Arts de Cergy, a posé à l’horizontale, fichée dans le mur, pour défendre un territoire autant que pour imposer un changement de perspectives. Ou certaines de ses images, figées dans une cire blanche qui les fait fantômes, prêtes à s’éteindre. Si Alicia Zaton s’inscrit dans son roman familial, voire son roman national, cela pourrait être à la manière d’un Julien Gracq quand il écrit : « J’ai toujours été étonné de la méprise qui fait du roman, pour tant d’écrivains, un instrument de connaissance, de dévoilement ou d’élucidation. Le roman est un addendum à la création, addendum qui ne l’éclaire et ne la dévoile en rien. » Elle non plus n’éclaire ni de dévoile, fragmentant un peu plus cette mémoire en fragments. Celles qui en disent finalement le plus long, ce sont ces mains qu’elle a sculptées en les faisant surgir du mur. Ouvertes ou recueillies sur elles même, elles offrent autant qu’elles retiennent.